• a voir d'urgence

    Je t'aime, moi non plus
    Souvenirs de Brokeback Mountain</b />
    Par : [08-12-2005]

    Brokeback Mountain
    Adapté d'une nouvelle d'Annie Proulx et tourné dans l'Ouest canadien, ce film d'Ang Lee met en vedette Heath Ledger et Jake Gyllenhaal dans des rôles de cow-boys unis par une passion amoureuse clandestine. Ennis Del Mar et Jack Twist se rencontrent lorsqu'un propriétaire de ranch les envoie un été sur les pentes isolées de la montagne de Brokeback garder son troupeau de moutons. Isolés, ils font connaissance au fil des jours en s'apprivoisant lentement. Ils s'attachent l'un à l'autre et vivent leur passion à l'abri des regards. Quand vient la fin de leur travail, ils se séparent pour mener une «vie normale»: se marier, avoir des enfants, un travail. Mais l'amour qui les a enflammés tous les deux ne se laisse pas facilement oublier. Brokeback Mountain est une grande histoire d'amour épique qui représente le rêve d'une complicité totale et honnête avec une autre personne.

    Avec ce film, Ang Lee revient sur un thème déjà abordé dans la comédie Garçon d'honneur, qu'il a réalisée en 1993, où il mettait en scène un jeune homosexuel qui organise un mariage de convenance pour faire plaisir à ses parents. La difficulté d'être gai, que ce soit envers soi-même ou de la société, est également au cœur de son dernier film.

    Avec subtilité, Brokeback Mountain parvient à dynamiter les conventions d'un genre, le western, tout en restant bouleversant. Sous son apparence romanesque — car le film est foncièrement romanesque et romantique —, il dit des tonnes de choses fondamentales sur l'existence et balaie avec classe les clichés comme les préjugés. Le film commence dans la nonchalance, la quiétude ambiante, pour progressivement devenir le réceptacle des passions. Ang Lee s'attarde sur les prémices d'une liaison entre deux hommes et dessine de manière remarquablement précise, sans chichi ni fioriture, une relation nouvelle avec son cortège de regards furtifs, de gestes maladroits et de menus détails qui trahissent l'attirance électrique. C'est le produit d'une attirance réciproque facilitée par l'isolement.

    Seulement, ce qui aurait dû n'être qu'une histoire sans lendemain devient très vite un besoin urgent et vital. Un désir brûlant de revoir la personne aimée. Petit à petit, les deux hommes comprennent qu'un lien extrême est né entre eux, mais que la barrière sociale du conformisme empêche cette relation et les oblige à se cacher. Quitte à mener sa propre vie à côté, à fonder une famille, à garder le mensonge et à vivre avec ce joug, histoire de ne pas admettre ce qu'on est intérieurement. La forme superbement illustrée par des paysages sublimement photographiés ne cache point un cheminement fictionnel classique. En profondeur, tout ce que le réalisateur raconte se révèle d'une intelligence inouïe.

    Le soin apporté à la psychologie des personnages — la rudesse animale de Ennis-Heath Ledger, la sensibilité latente de Jack-Jake Gyllenhaal — permet au film d'éviter les pires écueils. Ang Lee impose sa sensibilité à chaque plan, insiste sur l'idée d'un paradis édénique, à la fois havre de paix et refuge intérieur, voire mental pour les personnages, en mettant en résonance deux mondes bien distincts (Jack et Ennis, isolés, perdus dans les immenses paysages rocheux du Wyoming et encerclés par une nature bienveillante; les deux hommes séparés confrontés aux autres et aux contingences de la vie). Il rappelle accessoirement que sensibilité ne rime pas avec sensiblerie.

    Les regards subrepticement échangés entre les deux hommes lors de leur première rencontre chez le fermier. Cette première fois où Jack propose à Ennis de venir le rejoindre. Ce baiser fougueux lorsque les deux hommes se retrouvent après quatre ans de séparation ardue. Ce moment de soudaine et bouleversante lucidité, lorsque Ennis comprend la vérité au sujet de son camarade. Tout est affaire de regards inquiets, amoureux, souvent tristes, de personnages prisonniers de leur condition. Tout est affaire de silences aussi, parce qu'on communique mal ou alors on refuse de se parler, de peur de dire ce qu'on pense ou ressent. Les personnages ne voient pas le temps passer (et les ravages que cela peut causer), observent leurs enfants grandir sans savoir l'âge qu'ils ont et surtout se sacrifient sans pouvoir accéder à ce qui restera comme un idéal.

    Avec deux acteurs en état de grâce (Gyllenhaal et Ledger), choix inattendus et pourtant gagnants, le cinéaste capte l'amour au-delà des mots et met en scène une sublime histoire qui n'autorise pas l'ombre d'une quelconque facilité. Ang Lee exploite toutes les vertus du non-dit et préfère un regard expressif au moindre bavardage. Il en résulte une œuvre d'une beauté trouble et inouïe qui choisit de se taire pour faire exploser à l'écran le vécu de chacun. Peu importe ici l'orientation sexuelle, tant le film parle à tous ceux qui ont connu l'amour et surtout une histoire d'amour qui ne s'est jamais terminée. Là où le désir le plus secret le dispute au songe le plus désenchanté. C'est tragique et universel, comme dans le plus beau et le plus grand des westerns.

    Brokeback Mountain. Un film d'Ang Lee, avec Heath Ledger, Jack Gyllenhaal, Michelle Williams et Ann Hathaway. 2005, 134 minutes.


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