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    HOMOS - Marie-Hélène Bourcier, sociologue hors norme dans le paysage académique français, militante lesbienne et activiste queer, considère que la Gay Pride en général est devenue une manifestation trop brave. Entretien avec celle par qui la théorie queer est arrivée en France.

    Pas femme, mais Butch et SM... Telles sont les qualificatifs utilisés par Marie-Hélène Bourcier quand on lui demande de se définir. Mais Marie-Hélène Bourcier est aussi une des sociologues françaises les plus intrigantes du moment. Son domaine de prédilection: les théories du genre, la pensée «queer» et l'activisme. Cette normalienne –aujourd'hui maître de conférences à l'université de Lille– est un électron libre perturbateur qui prend un malin plaisir à naviguer à contresens du monde académique français. Elle était à Lausanne pour le colloque «Homosexualités au pluriel» organisé dans le cadre de la Swiss Pride 2006. L'occasion de lui demander ce qu'elle pense de la Gay Pride.

    Quelle importance revêt actuellement une manifestation comme la Gay Pride?
    Marie-Hélène Bourcier: C'est compliqué. D'un côté la Pride est un moyen d'affirmation, une occupation de l'espace public qui permet de «visibiliser» la population gay. Elle est donc importante. Toute une frange de la population gay a besoin d'une telle manifestation qui lui permet de présenter certaines revendications. Après... Elle pose tout de même problème. Sans remettre en cause sa force culturelle et politique, je dirais que la Pride est devenue insuffisante et contestable.

    En quoi est-elle aujourd'hui insuffisante et contestable?
    Le problème de la Pride c'est qu'elle est devenue trop gentille et trop respectable. Elle s'est donné un agenda normatif. Par exemple, en revendiquant le droit au mariage. D'ailleurs, je ne comprends pas cette histoire de mariage. Je comprends certes que les gens prennent des engagements, mais le mariage n'apporte rien. Il nous rabat sur un modèle romantique, de sentimentalité alors qu'il existe tellement d'autres formes de contrats possibles, à court, moyen ou long terme. Même un contrat de garantie pour une machine à laver, dans sa diversité, me semble plus intéressant comme base contractuelle. Je regrette cette focalisation sur le mariage. En suivant ce processus de normalisation, la manifestation s'est transformée en un défilé classique. Elle se fait sans les marges qui, elles, organisent leurs propres marches.

    Il y a donc des Pride parallèles?
    Oui. A Paris actuellement, il y a la marche des «tordus». Parce que celles et ceux qui s'identifient queer –tordu est en fait une traduction française de «queer»– ne se reconnaissent pas dans l'autre Pride, trop droite. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il y a toujours eu des contre-Pride. A New York et à San Francisco, par exemple, la vieille de la manifestation, il y a toujours une marche «dyke». Si les lesbiennes font ça, ce n'est pas parce qu'elles sont des affreuses séparatistes, mais parce qu'elles sont autrement trop peu visibles. Car avant tout problème d'agenda trop restreint, il y a le fait que la Pride est surtout gay, c'est-à-dire faite pour les hommes.

    On peut donc dire que la Pride exclut aussi?
    C'est évident! Les Pride n'ont jamais été une vitrine pour les minorités trans, par exemple. D'où l'importance des marches alternatives «trans-pédés-gouines». Elles donnent l'occasion aux gens qui ont envie de marcher de travers de se montrer. Parce que la Gay Pride, c'est: «je marche droit».


    Quelles sont les alternatives à la manifestation actuelle?
    Je ne sais pas. Mais on innoverait sans doute dans la culture gay ou LGBTQ ou trans-pédés-gouines –suivant comment on veut l'appeler– si on se débarrassait de la référence aux émeutes de Stonewall (qui ont opposé la communauté gay de New York à la police, ndlr). Mais encore une fois: on ne peut pas être contre ou pour la Pride. Elle garde une certaine pertinence politique. Il ne faudrait pas jeter la Pride avec l'eau du bain. Il y a cependant une chose qui me paraît vraiment discutable, c'est le désir d'exporter cette manifestation. La Pride est calquée sur un modèle anglo-saxon et je ne pense pas que nous –en tant qu'Européens– nous devions forcément l'exporter en Russie, Turquie ou ailleurs. Pour moi, c'est là une démarche limite coloniale –pour dire un gros mot– qui est franchement contestable.

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