• Guillaume Depardieu, 32 ans, acteur. Troublant et troublé, il défie sur une seule jambe l'ogre adoré auteur de ses jours.
    Empapaouté
    Par Luc LE VAILLANT

    mercredi 11 février 2004

     
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    Guillaume Depardieu
    en 9 dates

    7 avril 1971
    Naissance.
    1991
    Tous les matins
    du monde, d'Alain Corneau.
    1992
    Cible émouvante,
    de Pierre Salvadori.
    1993
    Prison ferme pour revente d'héroïne.
    1994
    César du meilleur espoir pour
    les Apprentis
    de Pierre Salvadori.
    1995
    Accident de moto.
    1999
    Pola X
    de Leos Carax.
    Décembre 1999
    Mariage.
    Eté 2003
    Amputation.</span />

     

     

     

    l marche sans béquilles, et c'est une prouesse risquée comme il les aime, une façon de braver ces messieurs de la faculté, de pilonner les prudences des trotte-menu, sans oublier de mettre son corps au supplice. Guillaume Depardieu s'assied sans gémir, en veillant simplement à pouvoir allonger la prothèse la plus fameuse de l'année. S'il porte un treillis, tapotant sa poche-pantalon et disant qu'il a «tout le nécessaire là-dedans, une brosse à dents, un caleçon, etc.», c'est qu'il s'imagine nomade comme avant, et c'est surtout que l'ordre de démobilisation ne lui parviendra jamais, qu'il sera toujours en guerre. Contre les maladies nosocomiales et les hôpitaux, «contre Sarkozy», petit Napoléon répressif à la mesure de sa hargne antisociale, mais surtout contre son hypersensibilité et ses démons, contre son père et pour lui-même, pour son père et contre lui-même.

    Il porte un treillis mais ce n'est en aucune façon une tenue de camouflage. Il ne se censure en rien, il dit tout (1) : l'enfant solitaire, la drogue-défi, le gigolo «pour femmes et hommes», la prison ferme, les frasques du blouson doré, les fulgurances du comédien météorique et les angoisses du musicien inachevé, son mariage, sa fille, sa séparation, son amputation. Et son père, sempiternellement. Son père absent, violent, aimant, silencieux, perdu. Un père lassé, fâché, qu'il réinvente à sa guise entre demande affective sidérante chez un homme de 32 ans et lucidité au laser envers ceux qu'on admire trop pour ne pas le leur faire payer.

    Pourquoi maintenant ? Pourquoi encore ? Pourquoi se mettre tellement à nu quand on est tellement à vif ? D'abord pour l'indépendance que donne l'argent. Pour ne pas perdre un à-valoir sur un roman qui tarde à venir. Guillaume D. est un «fils de» qui s'étrangle de ce noeud coulant, qui se débat dans cette toile d'araignée aimante, qui réside dans la maison voisine de celle de sa mère, mais qui est trop orgueilleux pour s'admettre héritier. Il faisait les poches de ses parents, dealait plutôt que de demander. Il débridait ses motos «à 320 sur l'autoroute», voyage maintenant en Mercedes que conduit son assistant, toujours cette habitude de mener grand train, mais son avenir manque d'assurance. Il se veut chanteur, acteur, producteur, mais il sait qu'à mesure qu'on s'habituera, sa jambe, qui fait sa terrible gloire, finira par le handicaper. Et, puis au-delà des droits d'auteur, c'est aussi une façon de revendiquer ses droits sur l'auteur de ses jours. Il est peut être «en manque de son père», comme le dit Marc-Olivier Fogiel qui a conduit le livre-entretien, Guillaume sait aussi insister sur les impairs et manques de Gérard. S'entremêlent un «amour, toujours» infantile avec un «pour solde de tout compte» adolescent, un «toi, mon tout» mystique avec un «moi, c'est mieux que toi et toi, c'est moins que rien» dévastateur. Jeune coq efflanqué, abîmé, crêpant la crête du roi de la basse-cour, lui volant dans les plumes à défaut de s'y blottir. Au point qu'on jurerait avoir entendu le gros gallinacé grommeler «protégez-moi de mes enfants, je m'occupe de mes parents», comme en Chiraquie d'autres se défient de leurs amis.

    Donc, G. et G., initiales communes pour un cannibalisme affectif où le plus goulu n'est pas le plus dodu, pour une dévoration du faible au fort comme il en est des dissuasions. Gégé, le Gargantua des champs, qui bouffe à tous les rateliers mais plus vraiment à la mangeoire familiale, et Guillaume , le fils amaigri et torturé, qui voudrait reconstituer un bonheur Kodachrome de vacances fusionnelles en camping-car dans le Berry ou sur le sable de l'île Maurice, quand il était blond comme les blés et que son père était encore le plus fort, le plus musclé. Gégé qui, toujours, s'échappe, fuit son petit monde pour conquérir le grand, et Guillaume qui tente de l'y ramener par tous les moyens et jamais n'y parvient. Des transgressions répétées (braquages, vols, injures, conduites en état d'ivresse) comme une demande de loi que Gégé n'incarnera jamais. Une tendance à le placer «tout en haut» et à se voir plus bas que terre, quand Gégé, lui aussi, aime se mettre minable (beuverie, boulimie, bizness barjot avec Castro ou Khalifa) pour ne pas avoir à brandir le sceptre de la raison, de la mesure, et autres hochets de vieux rois impuissants. Et on finirait par croire que c'est par dépit et masochisme mêlés que le fils de l'ogre a retourné l'arme contre lui et a sacrifié sa jambe, histoire de trancher le lard d'Obelix, de rapetisser Gulliver, d'émasculer Barbe-Bleue. Castration par procuration ? Ce serait oublier la douleur quotidienne enfin vaincue, le besoin de redémarrer autrement, la nécessité d'irrémédiable pour envisager d'y remédier et la lassitude de tout ça d'un fils fanfaronnant : «Mon père, je l'ai déjà tué mille fois en rêve». Et préférant cet autre rêve d'après l'opération, raconté à Gérard, qui était contre l'intervention et ne trouva pas ça drôle : «J'étais entouré de filles nues qui me suçaient le moignon.»

    G. et G. Différences brandies, ressemblances chéries. Guillaume le prolixe, le provo, l'«impudique» (dixit Gégé) qui se répand pour dénoncer le silence de son paysan de père. Guillaume qui l'esquinte en «hypocrite, faux cul, menteur, rancunier, froussard, pas solide» et se célèbre a contrario en «exalté, loup solitaire, fonçant droit dans le mur, supportant pas le mensonge». Tout ça ne l'empêchant pas de décrypter avec tendresse comment leurs excès se font écho. Gégé, ses maîtresses, ses bordels, ses partouzes, sa bonne santé à profusion. G. et ses tentatives de gigolo pédé pour interroger la «part féminine» de son père. Gégé, son besoin de faire pisser la vigne et le pétrole, son goût pour le liquide, pour «la fraîche». G., sa compulsion financière à l'identique sitôt devenu soutien de famille. Gégé, ses tatouages, son ventre. G. ses cicatrices, sa jambe. Et Gégé qui supplie Balladur de sortir G. de prison. Et Gégé qui fait, coup sur coup, accident de moto, alcool au volant et cinq pontages. Pour éprouver ce que G. a vécu. Pas pour le réprouver.

    Grandi à gauche, Depardieu-fils croit au progrès et à l'éducation. Il ne se résigne pas à la répétition des névroses, au triomphe du déterminisme. Et le père de Louise («pour Louise Michel»), 3 ans, d'affirmer : «Les enfants sont faits pour dépasser leurs parents.» Mais, gibier de divan au long cours comme papa, il ajoute : «Longtemps, j'ai tout fait pour ne pas le dépasser, pour le laisser là-haut. Ce qui tombe bien, il a peur d'être dépassé.» Et c'est parfois à se demander si, malgré ses déclarations d'intention et son agressivité cinglante, Guillaume tient vraiment à sortir de l'ombre, à traiter d'égal à égal. Lui, l'adepte des Sex Pistols, lui qui porte barbiche blonde et lunettes rondes des anarchistes russes du XIXe siècle, serait ainsi bizarrement en phase avec sa génération des 30-40, si gentillette, incapable de liquider ses devanciers, trop occupée à regretter son Ile aux enfants et à pleurer la mort de Cloclo.

    Il se lève. S'approche du bar en boitant moins qu'un Rimbaud qui aurait survécu à la gangrène. Il reste cette «émotion ambulante» dont parlait Julie, sa soeur. Commande un Perrier Citror. Et demande à son interlocuteur s'il n'a pas, lui aussi, un nom trop lourd à porter.

    photo Antoine d'Agata

    (1) Tout donner (Plon).


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  • ds le ciel d eprovence fais pas beau

    maési ds mon    queur

    alors!!!!!!!!!!

    jb


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  • L'éditorial du Monde
    Non à l'homophobie
    LE MONDE | 16.02.04 | 12h44

    APRÈS s'être penché sur la question du voile, Bernard Stasi, médiateur de la République, remettait, lundi 16 février, son rapport sur une autre fracture de notre société, celle de "toutes" les discriminations. Ce rapport sans complaisance sur l'inefficacité d'un appareil judiciaire pourtant chargé de lutter contre les dérives racistes, religieuses, sexuelles ou autres, propose de créer une haute autorité missionnée pour mettre en place un nouvel environnement juridique destiné à protéger les victimes et à leur permettre de mieux se défendre.<script language="javascript"></script>

    Il s'agit de l'un des grands chantiers de Jacques Chirac, et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a urgence. Urgence à agir, urgence à se donner les moyens judiciaires, mais aussi matériels, pour lutter contre ce fléau, et éduquer une opinion qui n'y est pas toujours aussi sensible qu'elle le devrait. Il faut espérer que, par-delà les effets d'annonce, une stratégie d'action sera engagée qui ne se limitera pas à une ou deux mesures phares mais dégagera une vision globale, et concrètement efficace.

    Le drame qui a frappé Sébastien Nouchet, brûlé vif le mois dernier en raison de son homosexualité et qui lutte contre la mort, rappelle, s'il en était besoin, que l'homophobie est une menace bien réelle. Face à ce "crime odieux" stigmatisé par le président de la République, le garde des sceaux, Dominique Perben, a promis d'urgence "un dispositif législatif nouveau" permettant "d'être absolument intransigeant en matière d'homophobie". Le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, a jugé "important que l'homophobie soit désormais désignée comme un comportement délictueux", et demandé que la France se dote "de moyens de réprimer de façon nette les agressions verbales plus ou moins directes".

    Une loi devrait être promulguée cette année, comme l'avait d'ailleurs promis le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, recevant en juillet des représentants de la communauté homosexuelle. Ce texte ne laisserait pas sans protection celui, ou celle, qui serait insulté(e) en raison de ses orientations sexuelles.

    Trop de loi tue peut-être la loi, comme le dit l'adage. Mais dans notre société – même si l'on peut regretter cette dérive légaliste –, sans doute faut-il un texte pour arrêter le sexisme ordinaire, celui qui fait mal et peut tuer. Un texte permettant de brider les dérives verbales ou écrites et qui responsabiliserait les faiseurs d'opinion. Une mesure qui éviterait, peut-être, que l'on ait pu lire dans un grand quotidien de province – Le  Républicain Lorrain –, sous la plume d'un journaliste comparant la lutte contre l'homophobie à un "lynchage médiatique" et à un retour à "l'Inquisition", des phrases telles que : " L'homophobie est, certes, une vilaine manière, mais elle ne relève que de l'intolérance ordinaire. Les "bouffeurs de curé" d'antan n'ont jamais été traduits en justice. Pas plus que les amateurs d'histoires belges ! Chacun a son opinion sur la question." Mais il est des "opinions" qui stigmatisent, blessent et tuent – et relèvent alors du comportement délictueux.

    • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.02.04


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