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    Sa pénitence prend la forme d'une phrase pointue, aiguë, tranchante, tristement... banale. "C'est qu'une tapette." Il se l'inflige, d'un ton tout aussi... banal. "Oui, je suis une tapette. Et alors ?" Et alors ? Djamel Haoua, 39 ans, est homosexuel. Et alors ? Il est né en banlieue. Et alors ? "Je me fais tout le temps traiter de pédé."

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    Ses amis proches le surnomment "Djamila". Ça le fait rire. Dans sa cité du Mas-du-Taureau, le quartier le plus chaud de Vaulx-en-Velin (Rhône), situé à une largeur de périphérique de Lyon, Djamel est "le sale pédé". Ça l'a fait fuir.

    Djamel n'a pas le style "caillera". Il ne se perd pas dans un gros pull à capuche. Sa démarche n'est pas rythmée au son d'une mélodie salace de rap. Bien au contraire. Il assume son côté "efféminé", ses manières et sa voix de "fofolle", son attitude "un peu bizarre", comme il aime à se décrire, car, affirme-t-il, "on n'aime pas les homos là-bas".

    "Je ne parlais à personne. Je ne fréquentais personne." On le soupçonne d'en être "une". "Dans la rue, des jeunes d'autres quartiers venaient me toucher la main en se moquant de moi. Les mecs de mon immeuble qui connaissaient ma mère me laissaient tranquille." Aujourd'hui, il est manutentionnaire et vit dans le centre-ville de Lyon. Mais c'est encore "l'horreur. Ma mère m'interdit d'aller la voir quand la nuit est tombée. On continue à m'insulter. J'ai une haine. Quand je croise des jeunes, je suis obligé de changer de trottoir. Ça me brûle le coeur. C'est comme une dépression dans ma tête". Une larme, et puis il lâche, candide : "Pourquoi ils m'agressent ? Juste parce que je suis homo ?"

    Il sait bien que oui. Tout comme Kemel Saroui. Lui se fait appeler "Samantha", ancienne "tapin" lyonnaise. Encore une opération et il sera un transsexuel, une... femme. Pour l'instant, c'est toujours Kemel, 44 ans. Il en fait, facile, dix de moins. Pull Lycra XXL, robe bouffante, poitrine apparente, une pilosité en voie d'extinction. Kemel a grandi rue du Roi-d'Alger, dans le 18e, un quartier populaire de Paris "bien pire qu'une cité", assène-t-il. En entrant au collège, il se montre, naïvement, nature, c'est-à-dire "extravagant". Il porte jean orange, T-shirt moulant et "pompes" compensées. Il n'a pas encore 11 ans quand un voisin abuse de lui. "Depuis, mes parents ne m'ont plus jamais fait de remarques."

    Les vannes de ses camarades de classe sur son côté délicat l'obligent à changer de bahut. Il a 14 ans et découvre à peine son homosexualité. Trois ans plus tard, commence le "calvaire", souffle-t-il. "Un jour, en bas de chez moi, six voyous du quartier me bousculent, m'empêchent de monter à la maison. Je suis à terre. Un d'entre eux me prend par les cheveux : "Si tu veux pas qu'on te frappe, si tu veux qu'on te laisse tranquille, tu nous suces !" On est allés à la cave." Très vite, ces caïds installent un matelas dans la cave. Quatre ans durant. "Ils me donnaient rendez-vous tous les samedis soir. Comme par hasard ! Ils étaient frustrés de ne pas pouvoir sortir et draguer des filles. Alors, ils s'attaquaient à moi." Kemel n'a pas le choix. "Je n'allais pas dire à ma mère : "Je suis pédé et je suce pour avoir la paix !""

    La paix ? En devenant leur "objet", "humilié", avec des "rapports pire qu'avec un animal", Kemel trouve, paradoxalement, sa "tranquillité". "Je pouvais m'habiller en "tapette". Et quand des mecs m'emmerdaient, mes voyous s'interposaient." Parfois, certains d'entre eux "en manque" venaient frapper à la porte. "Ma mère me disait : "Tiens, tu t'es fait ami avec ces voyous". Si elle avait su..."

    Le voisinage, pourtant, murmure. "Regarde ton fils !" Le père de Kemel, pour tuer cette rumeur qui dure, ramène une cousine d'Algérie et dit à son fils : "On va te marier, comme cela tu auras ta vie, tu auras ta liberté." Kemel a 21 ans. Fin du "calvaire".

    Jean-Luc Romero, secrétaire national du Parti radical, ancien de l'UMP, activiste des droits des gays, affirme, sans hésiter : "L'homosexualité est "le" vrai tabou en banlieue et dans les quartiers populaires." SOS-Homophobie est l'une des rares associations à tenter de mesurer les discriminations contre les gays et lesbiennes en France.

    En 2005, pour la première fois depuis dix ans, un chapitre de son rapport annuel est consacré à la banlieue à travers une trentaine de témoignages recueillis sur sa ligne d'écoute (0-810-108-135). Fabrice Soulage, un des responsables, explique : "Sans stigmatiser la banlieue, les agressions physiques y sont 33 % plus importantes et violentes qu'en ville, comme ce viol avec une batte de base-ball. L'agresseur a entre 15 et 25 ans, agit en bande, il est sexiste, machiste, et assimile le gay à un porc à éradiquer." SOS doit rendre publique, en juin, une enquête plus complète sur l'homophobie en banlieue s'appuyant sur 450 témoignages. Une autre est en cours sur la lesbophobie, comptant 1 793 doléances comme celle-ci : "Je suis dans le collimateur d'un groupe de jeunes de mon immeuble. "Nique les gouines" était inscrit sur ma porte." Car les filles connaissent, elles aussi, d'énormes difficultés. Ni putes, ni soumises recense, de son côté, une dizaine de cas "d'agression, de stigmatisation, de problème avec les familles".

    Ce n'est pas le cas de Gabrielle G. Adhérente à Angel 91, association homosexuelle des Hauts-de-Seine, ce bout de femme dans la cinquantaine a toujours parlé ouvertement de sa préférence. Dans sa cité d'Antony, elle affirme "ne pas se sentir rejetée ni insultée". Elle est plutôt sévère : "Il ne faut pas s'isoler, mais s'ouvrir vers les autres. Sans minimiser les difficultés en banlieue, le problème c'est la manière dont les homosexuels se projettent. Ils provoquent. Quand on t'insulte, tu ne réponds pas. La société n'est pas encore prête à nous accepter. Il faut savoir se comporter sans choquer."

    Sans choquer ? A Aubervilliers, dans le quartier du Pont-Blanc, les jeunes ont plus ou moins le même regard sur l'homosexualité : "Si j'en trouve un, je le pète" ; "Il y en a pas ici, ça se saurait. Ça se remarque quand même" ; "C'est pas comme à Paris" ; "Ils font ce qu'ils veulent, j'y peux rien, mais c'est contre nature". Alors, dans la cité, souvent l'homosexuel se fait invisible. Sous pression de la bande, il s'oblige à s'intéresser aux filles ; il est parfois même le premier à lâcher "On va casser du pédé". La culpabilité le ronge aussi. Celle d'être en totale contradiction avec les valeurs familiales, et surtout à l'égard de la religion. Pour éviter la "honte", il se tait, s'attache au silence. Chanceux, il se réfugie sur les sites Internet de rencontres ou de chats gays et lesbiens, pour briser l'isolement. Fortuné, il "s'exile" au Marais, l'emblématique quartier homo de Paris. Sinon, aires d'autoroutes, bords de canaux, toilettes de centres commerciaux font office de lieux de drague.

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    "Il y a un tel niveau de tabou sur la sexualité dans les familles maghrébines. Il suffit que deux personnes s'embrassent à la télé pour que les parents zappent de chaîne", raconte Nasser Ramdane, 33 ans. Figure du mouvement lycéen en 1990, il a la bouille d'un ado, les cheveux courts, bien dégagés sur les côtés, un visage affûté. Né dans les bidonvilles de Nanterre, il a connu Rueil-Malmaison, Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec, dont il est conseiller municipal. Même si, aujourd'hui, il se dit soulagé de ne plus "cacher son orientation sexuelle", avant "ça ne passait pas. On a tendance à faire croire que l'homosexualité est une perversion, une anomalie".

    Quand il découvre sa préférence pour les mecs, il est à la limite du dégoût. "On se nie. Je pensais être le seul rebeu homosexuel, que c'était réservé aux Occidentaux. Je flippais car je croyais que j'allais devenir une Zaza Napoli comme dans La Cage aux folles." Nasser est isolé, cache sa condition aux amis, car dans la cité, "un village urbain", tout se sait et tout le monde — les potes, les parents — tient des propos homophobes. Quelques intégristes musulmans font même croire que c'est l'Occident qui "rend homos" les jeunes. "Beaucoup se sont barrés de chez eux car les parents étaient au courant. Et, pour survivre, ils se sont livrés à la prostitution."

    Nasser a la chance de militer, dès 16 ans, à SOS-Racisme, dont il est aujourd'hui le porte-parole. Il ne traîne pas en bas de l'allée. Il rencontre un "espace de banalité où, quand t'es homo, on s'en fout". Malgré tout, il avait "l'angoisse qu'on le sache publiquement". Nasser trouve n'importe quel prétexte "fallacieux" pour vivre sa sexualité à l'insu de son entourage. Des excuses classiques mais efficaces : un rendez-vous chez le docteur, une rage de dents, ou le coup de la fatigue. "Cette double vie te pousse à avoir des relations furtives et à prendre de grosses précautions. Elle t'auto-interdit les sentiments."

    1994, premier coming out devant ses proches de SOS. "J'étais dans une relation sentimentale. Je ne pouvais plus le cacher." "Ça se voyait pas", lui répondait-on. 2001, second coming out... forcé. En campagne municipale à Noisy-le-Sec. Des membres d'une liste concurrente lui proposent un deal. De l'argent en contrepartie de leur soutien. Il refuse. Chantage donc. "Ils m'ont dit qu'ils allaient casser du pédé et révéler mon homosexualité à la ville et à ma famille." On cisaille les freins de son scooter. "Il fallait que je le dise à mes parents. Mon père et ma mère croyaient que je leur annonçais mon mariage..."

    Le mariage, ils n'y pensent pas : Nicolas Martin, 35 ans, et Stéphane Grenier, la trentaine, sont ensemble depuis douze ans. Après des squats, puis la rue, ils débarquent, en 1997, à La Courneuve, à deux pas de la cité des 4 000. Pour eux et leurs quatre chiens, l'appartement c'est le paradis. Mais, au bout de deux semaines, les "sales pédés !" fusent. "Je me levais à 4 h 30 pour sortir les chiens. J'étais sûr de ne croiser personne", raconte Stéphane. Du coup, ils ne montent jamais ensemble dans leur 100 m2 à 200 euros par mois. Nicolas ne sort plus de chez lui, confiné au salon comme un "ermite" : "Une fois, j'ai répondu à une insulte, on m'a gazé à la bombe lacrymogène."

    En 2000, ils déménagent, de nuit, abandonnant la moitié des meubles. Nicolas, aujourd'hui comédien, est resté longtemps en dépression. "Depuis quelques mois, quand je croise des jeunes, je ne change plus de trottoir. J'ai une haine et, en même temps, je ne peux pas m'empêcher d'avoir une infinie tendresse pour ces jeunes."

       | Jean Lecointre. 


  • Commentaires

    1
    Samedi 28 Janvier 2006 à 18:50
    et ben
    c'est vraiment immonde.je n'arrive pas à comprendre comment notre "douce france" fonctionne.Alala , on retrouve toujours les mêmes ingrédients: machisme, sexisme, homophobie, homosexualité refoulée. Quand je lis ces témoignages, j'ai l'impression de tomber dans une faille spatio-temporelle et de me retrouver en plein moyen-âge.Bon, je te bloggrolle. PS: y a un pb d'affichage,du moins avec mon browser (firefox mac): deux images masquent une partie du texte.
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